2023 : WoW en Chine, année chagrine

Cela fait maintenant plus de deux semaines que le meuporgue World of Warcraft, de chez Activision / Blizzard, a dû fermer ses portes à ses joueurs ressortissants de Chine continentale. une situation qui n’a fait l’objet d’aucune communication officielle dans le launcher de Battle.net.

Et alors, me direz-vous ? En quoi cela nous concerne en tant que joueurs ? Après tout, les serveurs « Chinois » ont toujours été décorrélés des serveurs européens, donc l’économie locale des serveurs (quoi qu’on en dise) et la population en jeu ne s’en ressentira pas, au moins pour les héros d’Azeroth Français, non ? Pas si simple…

La Chine et WoW

Il est toujours difficile de fournir des arguments sourcés sur le sujet, car Blizzard ne communique que très peu quand les choses vont mal – ce n’est pas très bon pour les actionnaires. D’une manière générale, la population des serveurs est une information rarement communiquée (sauf quand il s’agit d’un pic de fréquentation, évidemment). On peut néanmoins trouver des analyses et des graphiques ici ou là, en fouinant sur le ouèbe.

Il existe aussi plusieurs méthodes pour compter la population d’un meuporgue. Plutôt que de jongler avec des indicateurs différents, nous allons essayer de nous concentrer sur une statistique relativement fiable : le nombre d’inscrits.

Naturellement, ce chiffre n’est pas identique au nombre de joueurs actifs. Néanmoins, il représente le plus important aux yeux de l’éditeur : l’abonnement et donc la principale rentrée d’argent (la rentabilité de la boutique de goodies en ligne ne peut que difficilement être chiffrée par votre humble serviteur, cela dit).

Notre analyse partira notamment du graphe ci-dessous, chiné (!) sur les forums US de WoW :

Historique de la population de WoW, entre 2005 et 2015

Par ailleurs, comme nous le révèlent le site statista, la population globale de comptes inscrits serait tombée de 5,67 millions (au plus haut point de la courbe 2015-2023) en 2016, à 4,46 millions en 2023. Attention, les statistiques officielles ne sont plus fournies depuis 2015, donc il s’agit d’estimations et de projections.

Le nombre d’inscrits affiché dans le graphique ci-dessus semble cohérent, et nous nous baserons donc sur ces données de seconde main, faute de mieux. Cela nous donne l’ordre de grandeur.

A noter que ces chiffres de statista entrent cependant en contradiction avec des études plus récentes, réalisées en 2019, et estimant le nombre de comptes actifs Europe + USA à 10,8 millions environ, ce qui est une belle remontée.

Le poids démographique

Il est d’autant plus difficile de trouver des sources sur les statistiques des serveurs Chinois, mais le ouèbe est encore une fois notre ami et un allié précieux. Ainsi, dès les débuts, la population chinoise est estimée à 1,5 millions (d’après cet article de macworld), soit environ 25% des 6 millions d’abonnés en fin d’année 2005.

Quelques années plus tard, d’après worldofwarcraft.fandom.com, les serveurs Chinois comptaient 3 millions d’inscrits en 2011. Si l’on se réfère au graphe précédent, cela représente environ… 25% des inscrits.

La même proportion de joueurs (approximativement un quart d’inscrits) semble donc provenir de Chine continentale, bon an mal an, depuis le lancement du MMO, et au moins jusqu’au milieu des années 2010.

Mais devinez quoi ? S’l est difficile d’obtenir des statistiques plus récentes, pour ce qui est de WoW en général… C’est aussi vrai en particulier pour tout ce qui touche aux comptes actifs en Chine. En juillet 2016, un article du Guardian va jusqu’à proposer une estimation de 50% de joueurs Chinois (2,5 millions sur 5) ; cependant, il ne cite pas ses sources.

Une portion de joueurs est donc indéniablement d’origine Chinoise, et il est plus raisonnable de tabler sur une moyenne approximative de 20 à 30% de souscripteurs Chinois environ, ce qui est tout sauf négligeable ! Mais nous allons voir que les choses sont un peu plus compliquées, et que la population ne fait pas tout…

Les marques d’attention mutuelles

D’autres faits ne trompent pas, et les indices sur l’importance du marché de la Chine pour Activision/Blizzard ne manquent pas. Au fil des années, nous retiendrons pêle-mêle :

  • De nombreuses modifications graphiques ou d’interface spécialement conçues pour le marché Chinois : squelettes et crânes remplacés par du pain et de la paille, montures et mascottes pour faire un clin d’œil à leur culture chaque année (on attend toujours les mascottes Baba Yaga ou Kirikou), voire carrément réservées à leurs serveurs, etc… D’ailleurs, on vient de nous offrir une mascotte lapin pour l’année du même nom !
  • Des serveurs de jeu entièrement dédiés (plutôt que des serveurs « Pacifique » ou « Asie ») ;
  • La disqualification des participants de tournois un peu trop critiques de la politique oppressive à Pékin…

De leur côté, les Chinois manifestent eux aussi un intérêt certain pour les univers de Blizzard en général, et pour Azeroth et World of Warcraft en particulier :

Il est par conséquent assez trivial de conclure que les abonnements Chinois représentent une part non négligeable du chiffre d’affaire de la licence WoW, de même qu’elle représente un marché juteux au fort potentiel (ne serait-ce que par sa population milliardesque).

Le cochon, étant le symbole de la prospérité en Chine, cette monture n’est-elle pas le symbole de la prospérité apportée par les souscripteurs Chinois ?

Les raisons du clap de fin

Tout comme pour ce qui concerne ses statistiques, Blizzard a très peu communiqué sur les raisons de la coupure des serveurs Chinois, et encore moins auprès de son public européen. Examinons néanmoins les explications que l’on peut fournir sur cette fermeture mémorable (mais pas la première annoncée).

Première hypothèse : un problème contractuel

Un vague entrefilet dans la presse numérique s’en fait l’écho, rapportant qu’il s’agit de problèmes contractuels et d’une suspension que tout le monde espère temporaire, du moins en l’état des connaissances. C’est donc un conflit entre ayant-droit (Blizzard) et distribution (Netease) qui aurait conduit à cette fermeture.

C’est l’explication officielle à ce jour, et la seule qui soit à peu près étayée par plusieurs médias.

Pour l’instant, les joueurs sont invités à sauvegarder leurs données, le temps que le groupe Activision trouve un autre porteur de leurs nombreuses licences (seul Diablo Immortal, puisque jeu sur mobile, n’étant pas impacté par leur contrat de portage numérique).

Deuxième hypothèse : Un marché trop faible

Du point de vue de cet expert, bien placé apparemment pour en juger, la situation actuelle reflète cependant une tendance de fond bien plus durable, en substance le marché Chinois se serait lassé de World of Warcraft.

Selon cette autre hypothèse, il y aurait donc une dégringolade de la population dans les serveurs Chinois. Il n’est pas étonnant qu’une telle information, si elle s’avérait véridique, ne soit pas révélée publiquement par Blizzard. Le problème est qu’il s’agit encore une fois d’une donnée invérifiable.

Quel est l’impact réel de l’évolution du marché Chinois, au cours des cinq dernières années, sur les souscriptions et abonnements Battle.net ? Les sino-joueurs sont-ils aujourd’hui 10% de la communauté mondiale de WoW ? 5% ?

Dans tous les cas, si ces suppositions de baisse sont exactes, Activision jugerait à juste titre ne plus avoir besoin de courtiser autant la population de ce pays, dont le gouvernement a une politique sur le numérique et le divertissement pour le moins contraignante et tatillonne. Brader les libertés chères à l’Amérique pour des consommateurs communistes ? Le jeu n’en vaudrait tout simplement plus la chandelle…

Heureusement, il fait chaud dans certaines régions de Chine.

Troisième hypothèse : un producteur outragé

Cependant, d’autres hypothèses sont émises, notamment des indélicatesses de la part du distributeur local, qui parasiterait sciemment le jeu avec des bots et des publicités intempestives – de quoi essayer d’extorquer le plus d’argent possible aux joueurs, sur le dos de Blizzard et au détriment du plaisir de jouer. Sans même parler des bots de farming qui saturent en boucle les zones en jeu…

Dans ce cas, ce serait une bonne raison officieuse pour que Blizzard décide de mettre fin à leur partenariat, et cherche un autre distributeur local (ce qu’ils ont promis de faire).

Parce que, déjà, pour commencer, voir d’autres personnes se faire de l’argent sur leur dos a toujours horripilé les avocats de Blizzard (parce que faire fructifier les autres c’est du communisme, et le communisme c’est pas bien).

De toute façon, la marche forcée progressiste, en place aujourd’hui chez Blizzard Entertainment, ne peut pas s’accorder éternellement avec un régime schizophrène, limitant d’une part les joueurs, et pillant d’autre part la propriété intellectuelle des éditeurs.

Notez que ces trois hypothèses ne s’excluent pas mutuellement, et l’accumulation de gouttes d’eau a pu faire déborder le vase Ming.

Et demain ?

Par conséquent, nous ne pouvons que spéculer sur les raisons officielles de cette clôture, aussi soudainement annoncée que rapidement exécutée. Pour ce qui est de l’avenir, difficile de savoir qui a raison : mouvement de déclin irrémédiable, phase de transition délicate ?

Il est certain que dans la philosophie chinoise, on préfère en général parler de changement que de rupture. Ce qui nous est présenté pour l’instant comme une période transitoire exceptionnelle peut tout aussi bien s’avérer s’inscrire dans le long terme. Pour l’instant donc, le vocabulaire employé se veut rassurant… Mais n’engage à rien.

Seul le temps nous dira si ces décisions auront un impact économique sur le groupe, et si cet impact aura un effet positif ou négatif sur notre expérience de joueurs. Cela pourrait tout aussi bien pousser Blizzard à bichonner davantage ses joueurs US et Européens, mais ce n’est pas forcément une nouvelle s’ils prêtent trop l’oreille à des revendications qui nuisent à l’expérience de jeu ou invisibilisent les femmes. Bien malin qui peut dire de quoi les prochaines extensions seront faites…

Un commentaire sur “2023 : WoW en Chine, année chagrine

Mieux vaut l'action que vaines palabres...