Je te survivrai

Aujourd’hui, nous vous proposons la critique littéraire du plus grand monument de la culture musicale Française. Je parle bien sûr de l’incontournable et indémodable Je te survivrai, clip de l’été 1989 avec sa 2e place au top 50. Cette chanson, on la doit à un interprète au talent sous-estimé, l’inébranlable légende du Football : Jean-Pierre François.

Je te survivrai n’étant surclassée que par La Lambada, on pardonnera au public de l’époque de ne pas avoir perçu immédiatement sa supériorité musicale et textuelle. L’internaute honnête d’aujourd’hui reconnaîtra que l’une de ces chansons a clairement mieux survécu au passage du temps que l’autre. Ne serait-ce que parce que son vocabulaire est à peu près compréhensible, si l’on a les clefs pour l’interpréter.

Mais sans tarder, voici l’exégèse précise de ce chef d’œuvre de musique, de composition et de littérature.

Premier couplet

Dans des miroirs chinois

Jean-Pierre commence très fort ici, avec un hommage vibrant à l’industrie du verre en Chine. Est-ce pour célébrer les échanges pacifiés depuis la reconnaissance de la Chine communiste ? Rappelons que nous sommes en 1989. A moins qu’il ne faille y voir un clin d’œil au groupe Saint-Gobin qui possède l’usine de Blénod, dont est originaire notre chanteur blond ? Saint-Gobin est aussi connu pour son industrie du verre, et pour ses nombreuses implantations en Chine. Que de mystères dès ce premier vers ! Très fort, Jean-Pierre.

Dans le bleu des photos

Plus que Laurent Voulzy qui fredonnait « Belle Isle en mer » en 1985, Jean-Pierre a su ici magnifier l’amour et la fascination que peut exercer la mer sur sa mémoire photographique. Si l’on se met dans la peau du personnage de la chanson, présenté comme un homme blessé à la suite d’une rupture, il s’agit probablement de souvenirs sur la plage, souvenirs douloureux de l’être aimé et à présent lointain… Comme un bateau qui disparaît dans la ligne bleue de l’horizon.

Dans le regard d’un chat

Référence évidente aux pupilles du chat qui, la nuit, reflètent la lumière comme des miroirs, ce qui fait donc une rime à la fois visuelle et à l’oreille avec le premier vers. Le chat est aussi un animal capricieux et indépendant, qui représente souvent la femme fatale ou la femme libre et sûre d’elle – capable de sortir les griffes.

Dans les ailes d’un oiseau

Les ailes ici expriment clairement une envie de liberté, de s’échapper à la douleur qui piège l’albatros Jean-Pierre cloué au sol. Avec l’oiseau et le bleu de la mer, le chanteur invoque tous les moyens de transport.

Dans la force d’un arbre

Jean-Pierre continue à prendre pour témoin la création entière ; après les souvenirs intérieurs et les animaux, il invoque le règne végétal. L’arbre est évidemment un symbole de force, car rien ne peut déraciner les immenses arbres millénaires des forêts primaires. Sauf peut-être la tempête des roseaux. Ou la hache du bûcheron. Ou le cœur gravé sur son écorce par les amoureux, gravures censée représenter justement la force d’un amour vivace. Le personnage de la chanson fait-il référence à un tel souvenir ? Avant lui, Brassens a longtemps chanté l’arbre, que ce soit dans Auprès de mon arbre, ou Le grand chêne. Avec ces quelques mots, nous avons donc une révérence d’un poète à un autre.

Dans la couleur de l’eau

Nouvelle évocation de la mer, en revenant à l’univers minéral ou à la matière non-vivante, perçue comme en mouvement et belle par sa couleur (le fameux bleu des photos). La mer est heureuse parce qu’elle n’aime pas, et donc ne souffre pas. Le personnage ici veut sans doute se plonger dans l’eau régénératrice pour oublier sa peine. Il s’agit peut-être de la Moselle, qui est la rivière de son enfance. On a donc ici à nouveau le thème liquide, mais dans un ton fluvial plutôt que marin. Nouvelle évocation et non pas répétition. Habile.

Je te survivrai

Première occurrence la célèbre phrase éponyme, lancée comme un cri de défi à son ancienne amante. Une formule qui claque et qui envoie du lourd. On songe à McArthur et à son « Je reviendrai ».

Dans l’hiver et le vent

En tant que Lorrain, Jean-Pierre sait très bien de quoi il parle.

Dans le froid des maisons

Préfiguration de la crise énergétique, un vrai visionnaire.

Dans les sables mouvants

L’envolée lyrique ici nous montre Jean-Pierre tel un aventurier de jeu de rôle, explorant des contrées dangereuses.

Où j’écrirai ton nom

L’explorateur n’a pas encore oublié le nom de celle qu’il aime, ce qui cause effectivement sa douleur. Ecrire le nom de sa bien-aimée fait évidemment référence à l’arbre précédemment cité, mais aussi à la maison, le linteau du foyer pouvant porter le nom des maîtres des lieux. Tout comme les pierres tombales. Est-il sur le point de faire son deuil ?

Dans la fièvre et le sang

Le héros est rongé par les souvenirs, comme on le serait par une maladie des marais. S’agit-il du sang prélevé par les moustiques ? Ou bien un crime a-t-il été commis ?

Dans les murs des prisons

Le héros a-t-il été enfermé pour homicide ? Non, évidemment. Il s’agit de la prison de son esprit, dont il voudrait s’évader… Comme de l’eau ou un oiseau. On comme le comte de Monte-Cristo, l’un des plus célèbres prisonniers de France.

Je te survivrai

Deuxième occurrence de la célèbre phrase. La dualité dans ce couplet permet d’en marquer l’hémistiche et la fin, tout en annonçant le refrain avec une fluidité déconcertante.

Premier refrain

Je te survivrai d’un amour vivant

Pour Jean-Pierre, l’amour est toujours vivant ; cependant, il ne s’agit évidemment pas de déterrer des morts.

Je te survivrai dans des yeux d’enfants

Tout comme il condamne la nécrophilie, Jean-Pierre est un chanteur engagé qui s’oppose ici à la pédophilie.

Je te survivrai comme un revenant

Il s’agit évidemment d’un hommage appuyé aux Poilus de la Première Guerre Mondiale, véritables revenants au sortir de la guerre, ayant survécu aux horreurs de Verdun.

Je te survivrai

Cette répétition finale, se terminant sur une note lancinante et une dernière syllabe désespérée, mérite un vers à elle seule. Après tout, comment ou pourquoi survivre, peu importe : ces trois mots se suffisent.

Deuxième couplet

Dans les bruits de la ville

Les nuisances sonores sont le fléau de l’époque moderne ; Jean-Pierre prend ici position contre les interprètes sans talent et sans envergure de la nouvelle génération, qui pensent savoir chanter parce qu’on leur met un micro devant la bouche. Un vrai chevalier ambassadeur de la culture Française.

Dans les aéroports

Nouvelle référence au ciel, dont les envolées en avion font penser aux trilles de sa chanson. Jean-Pierre s’identifie ici à son personnage et mélange leurs vies, associant sa propre carrière de chanteur international, courant d’un aéroport à l’autre, avec celle de son personnage qui aspire à l’évasion.

Dans les jours difficiles

Jean-Pierre, une fois de plus, se fait prophète et prédit les temps difficiles de la tempête de 1998, la bulle spéculative de 2007, la guerre en Afghanistan et l’Amérique de Trump.

Où je t’aimerai encore

La force du chanteur est peut-être d’aimer même celle qui l’a rejeté, inconditionnellement, désespérément.

Dans les nuits anonymes

Glaçant rappel de la nuit de cristal. L’extrême-droite ne passera pas avec Jean-Pierre François.

Où je perdrai mon corps

S’agit-il d’un mélancolique souvenir des communions à l’église, dans sa ville natale ? Le corps du Christ est aussi loin des préoccupations des Français, que l’est l’ancienne amante du personnage narrateur. Ici la crise amoureuse s’accompagne d’une perte de repères et d’une crise de la foi.

Je te survivrai

L’espoir perdure, cependant, car deux Hobbits marchent secrètement vers la Montagne du Destin.

Second refrain

Je te survivrai d’un amour vivant
Je te survivrai dans des yeux d’enfants
Je te survivrai comme un revenant
Je te survivrai

La courte énumération, lancée comme un défi ou comme une promesse, fait immanquablement penser aux grands serments et aux démonstrations verbales puissantes des héros de la tragédie grecque antique, dont nous retrouvons ici le Pathos et le destin. Tout comme Achille, le héros de la chanson laisse ses sentiments s’épancher dans des diatribes tonitruantes.

Troisième couplet

Contrairement aux chanteurs de bas étage, dont les chansons sont en général limitées à deux couplets, Jean-Pierre fait mieux. Non, notre bon JP nous prépare une dernière cartouche, une salve ultime qui achèvera son auditoire pantois. Il se fend donc d’un troisième couplet, qui fait des trois parties de cette chanson les trois mousquetaires de la peine amoureuse.

Dans les frissons du cœur

Le froid revient ici dans la chanson, au moins dans le champ lexical ; mais il sert ici de métaphore filée pour exprimer la peine du cœur. Il permet de faire la synthèse de plusieurs idées évoquées précédemment. Le héros cherche donc encore le moyen de réchauffer son âme meurtrie, comme une maison désertée, ouverte aux quatre vents.

Dans les mots des chansons

Nouvelle confusion mystérieuse du personnage et du chanteur, qui s’approprient tous les deux la chanson. Cette mise en abîme a de quoi couper le souffle. Jean-Pierre fustige aussi une fois de plus les rappeurs, slameurs et autres skat-skateurs, dont les chansons n’ont pas de paroles, et qui ne permettent donc pas au public ni au chanteur de « survivre » dans les mots rédempteurs. Car Jean-Pierre croit au pouvoir libérateur des mots.

Dans les cages d’ascenseur

Première lueur d’espoir évoquant les rencontres banales et imprévues que l’on peut faire dans les cages d’ascenseur, quand on rentre dans son appartement Parisien ou que l’on se rend chez son médecin ou son kiné.

Ou les caves des bas-fonds

Jean-Pierre évoque évidemment la chanson indémodable Les Champs Elysées de Joe Dassin, chanson porteuse d’espoir car promesse d’un nouvel amour, pur et sincère.

Dans l’angoisse et la peur

La route est encore longue et semée d’embûches, comme un parcours d’un football club de 2e division.

Frissonnant d’émotion

Il s’agit évidemment du nouvel amour naissant, qui cette fois fait frissonner le cœur d’une chaleur retrouvée.

Je te survivrai

La promesse est devenue réalité, la chenille est devenue papillon. Quel beau message d’espoir pour ceux qui se cherchent encore et qui ont du mal à s’accepter.

Dernière reprise

Je te survivrai d’un amour vivant
Je te survivrai dans des yeux d’enfants
Je te survivrai comme un revenant
Je te survivrai

Arrivée anachronique du refrain originel, qui appelle évidemment à une dernière et ultime reprise amendée, pour coller à l’évolution du personnage.

Je te survivrai et tu m’entendras

On comprend qu’en parlant aux oiseaux, au vent, à l’eau et aux arbres, Jean-Pierre s’adressait au destin et à la vie, plutôt qu’à une amante de passage. En survivant à sa peine, il survit aux épreuves de la vie. En retour, la vie et le destin ici entendent son cri d’amour et d’espoir. Ils lui amènent un amour nouveau, qui efface et guérit la blessure précédente. Et cet amour, comme l’a laissé entendre Claude François, celui qui ne déçoit pas, c’est bien évidemment le public.

Je te survivrai quelque part en toi

Jean-Pierre enracine ses paroles dans notre esprit et ses fans ne l’oublieront jamais.

Je te survivrai au-delà de moi

Avec une humilité déconcertante, Jean-Pierre sait qu’il est devenu un pilier de la chanson Française.

Je te survivrai

Le narrateur promet au public qu’il survivra à la fin, et donc à la mort virtuelle de sa chanson. Après tout, il est toujours possible de la réécouter, et donc, de faire survivre le personnage.

Allez, on s’en remet une petite écoute ?

Mieux vaut l'action que vaines palabres...